Nanga Parbat ou la “montagne tueuse”
La montagne tueuse
Nanga Parbat, surnommé « la montagne tueuse », est un sommet aussi fascinant que redoutable. Au 11 juillet 2009, 322 alpinistes intrépides, dont 22 femmes, ont réussi à atteindre son sommet. Cependant, cette montagne impitoyable a également ôté la vie de 68 aventuriers, soit 22% des tentatives à cette date, portant le bilan tragique à 74 alpinistes en mars 2019.
L’appellation sinistre de « montagne tueuse » lui fut attribuée par l’expédition allemande qui, le 3 juillet 1953, réussit enfin à en gravir les flancs après de nombreuses tentatives infructueuses. Avant cette victoire, trente-et-une âmes s’étaient éteintes en essayant de dompter ce géant de l’Himalaya.
Entre la première tentative audacieuse d’Albert F. Mummery en 1895 et la première ascension réussie par Hermann Buhl en 1953, le Nanga Parbat a tragiquement coûté la vie à 30 aventuriers intrépides. Ce sommet détient un triste record témoignant de sa dangerosité et de la détermination des alpinistes à surmonter ses défis.
Le majestueux Nanga Parbat, culminant à 8 125 mètres d’altitude, se dresse fièrement comme le neuvième sommet le plus élevé du monde et appartient à la célèbre chaîne de l’Himalaya. Située entièrement sur le territoire pakistanais, cette montagne emblématique est également le sommet de plus de 8 000 mètres le plus occidental. Son nom, Nanga Parbat, signifie « montagne nue », mais elle est aussi connue sous le nom de Diamir, qui se traduit par « Roi des montagnes », témoignant de sa grandeur et de sa majesté.
De nombreuses catastrophes
Le légendaire alpiniste Mummery fut le premier à s’attaquer au redoutable Nanga Parbat, suivi par deux expéditions austro-allemandes en 1934 et 1937, qui payèrent toutes un lourd tribut face à cette montagne impitoyable. Avec ses trois versants immenses et complexes, exposés aux avalanches, le Nanga Parbat présente un véritable défi en termes d’itinéraire.
Contrairement à la plupart des autres sommets de plus de 8 000 mètres, il n’y a pas de voie évidente vers le sommet.
Jusqu’à la première ascension réussie en 1953, les alpinistes concentraient leurs efforts sur le versant nord et le glacier de Rakhiot. Dans ce numéro, nous vous invitons à revivre les moments tragiques et épiques de l’histoire de l’Himalayisme, ainsi qu’à découvrir les récits d’expéditions plus récentes et contemporaines qui ont marqué l’exploration du Nanga Parbat.
Parmi les alpinistes, le Nanga Parbat est considéré comme l’un des sommets de plus de 8 000 mètres les plus ardus à conquérir. Contrairement à l’Everest, même l’itinéraire le plus classique et « facile » pour atteindre son sommet, la voie Kinshofer, se révèle extrêmement difficile. Cette route présente des pentes abruptes, des couloirs d’avalanches et des zones exposées aux chutes de pierres, rendant la montée périlleuse et mettant les grimpeurs à l’épreuve de leurs limites.
Des caractéristiques bien particulières
Situé à l’extrémité occidentale de la chaîne de l’Himalaya, le Nanga Parbat se distingue comme l’une des masses montagneuses les plus imposantes et isolées sur Terre. La différence d’altitude entre le sommet et le fond de la vallée de l’Indus, située à seulement 25 km, est d’environ 7 000 mètres, témoignant de sa grandeur vertigineuse.
De plus, la paroi sud du Nanga Parbat, également connue sous le nom de versant du Rupal, se dresse majestueusement sur 4 500 mètres, ce qui en fait la plus haute paroi rocheuse du monde. Ces caractéristiques exceptionnelles ne manquent pas d’inspirer respect et fascination chez les aventuriers et amateurs de montagne.
D’un point de vue géologique, le Nanga Parbat est composé principalement de granites et de gneiss, des roches métamorphiques qui lui confèrent une structure solide et impressionnante. En fonction des conditions météorologiques, cette composition peut parfois lui valoir le surnom de « montagne bleue » en raison des teintes qu’elle dégage.
Sur le plan climatique, le Nanga Parbat se situe à la frontière entre deux zones thermiques, ce qui provoque des vents violents et impétueux. Ces conditions climatiques difficiles ajoutent un défi supplémentaire pour les alpinistes qui tentent de gravir ce sommet hors du commun.
L’histoire macabre du Nanga Parbat
Mummery et la première tentative
La toute première tentative d’ascension du Nanga Parbat fut menée en 1895 par le plus grand alpiniste anglais de l’époque, Albert F. Mummery. Cette expédition historique marqua la première tentative d’ascension d’un sommet de plus de 8 000 mètres. Mummery était un grimpeur expérimenté ayant déjà réalisé des ascensions audacieuses, comme celle du Grépon par la grande fissure (fissure Mummery) et celle du Cervin par l’arête du Zmutt.
Le 18 août 1895, la première tentative sérieuse de l’expédition sur le Nanga Parbat échoua à 6 200 mètres d’altitude. Malgré cet échec, Mummery refusa d’effectuer le long détour par les basses vallées pour revenir au Cachemire. Il entama alors l’ascension par le versant du Diamir, atteignant probablement une altitude d’environ 6 600 mètres.
Convaincu qu’une brèche au sommet du glacier du Diamir offrait un raccourci, Mummery se lança dans une nouvelle tentative avec deux porteurs. Hélas, ils disparurent sans laisser de trace et ne furent jamais revus. Cette première expédition tragique souligna la dangerosité du Nanga Parbat et l’impitoyable défi qu’il représente pour les alpinistes.
Les tentatives allemandes du début du 20e siècles
Les premiers échecs
Au XXe siècle, durant les années 1930, l’alpiniste allemand Willy Merkl tenta à son tour de conquérir le sommet du Nanga Parbat. En 1932, il participa à l’expédition germano-américaine de l’Himalaya (Deutsch-amerikanischen Himalaya-Expedition (DAHE)), qualifiée d’« expédition de reconnaissance », mais il ne parvint pas non plus à atteindre le sommet.
Lors de l’expédition suivante en 1934, Alfred Drexel succomba dès l’établissement du camp de base, emporté par un œdème pulmonaire. Par la suite, une tempête de neige sur la paroi sud-est, à environ 7 500 mètres d’altitude, eut raison du chef d’expédition Willy Merkl, de Willy Welzenbach et Uli Wieland ainsi que de six sherpas, qui périrent les uns après les autres.
Suite à cette expédition tragique, la presse de propagande nazie rebaptisa le Nanga Parbat « la montagne du destin allemand » (Schicksalsberg der Deutschen). Malgré ces échecs et pertes, Erwin Schneider et Peter Aschenbrenner réussirent à atteindre une antécime à 7 895 mètres d’altitude, marquant une avancée significative dans l’exploration de cette montagne redoutable.
Les catastrophes et échecs de 1937 et 1938
Jusqu’à la fin des années 1930, le Nanga Parbat a ajouté de nombreux membres de l’élite alpiniste allemande à son triste bilan. Lors de l’expédition de 1937, pas moins de seize personnes périrent emportées par une avalanche, dont sept alpinistes allemands et neuf sherpas. L’expédition suivante, dirigée par Paul Bauer en 1938, accorda une attention accrue aux conditions de sécurité, mais ne parvint pas à gravir la montagne jusqu’à l’altitude atteinte lors de l’expédition de 1934.
Au cours de cette expédition, les dépouilles de Willy Merkl et du sherpa Gay-Lay furent retrouvées. Gay-Lay, bien qu’ayant eu la possibilité de redescendre, avait préféré rester auprès de son sahib. La propagande nazie de l’époque le célébra comme un héros ayant bravé la mort avec courage.
L’expédition de 1939 et le début de la seconde guerre mondiale
Durant l’été 1939, une nouvelle expédition exploratoire fut entreprise sur la face nord-ouest du Nanga Parbat, la face du Diamir. Cependant, la Seconde Guerre mondiale éclata pendant le voyage de retour de l’équipe, composée de Peter Aufschnaiter, Heinrich Harrer, Lutz Chicken et Hans Lobenhoffer. Les participants furent internés dans les Indes anglaises en raison du conflit.
Le destin de Harrer et Aufschnaiter fut par la suite popularisé grâce au livre de Harrer, Sept ans d’aventure au Tibet, publié au début des années 1950. Ce récit, devenu mondialement connu, retrace leurs péripéties depuis leur détention jusqu’à leur évasion et leur voyage au Tibet. Le livre fut également adapté au cinéma en 1997, contribuant à la notoriété de cette histoire d’aventure et de persévérance.
Hermann Buhl et le succès d’après guerre
Après la Seconde Guerre mondiale, K. M. Herrligkoffer, demi-frère de Willy Merkl, entreprit la préparation d’une nouvelle expédition en direction du Nanga Parbat. Malgré les trente-et-une personnes ayant péri dans leurs tentatives précédentes, l’Autrichien Hermann Buhl parvint finalement au sommet le 3 juillet 1953, réalisant une performance d’escalade exceptionnelle.
Buhl entama son ascension vers le sommet depuis le camp de base situé à 6 900 mètres d’altitude et atteignit le sommet sans apport artificiel d’oxygène en un temps record de 41 heures, considéré alors comme impossible.
Cette prouesse fut initialement accueillie avec réticence par les membres de l’expédition, notamment par son organisateur Karl-Maria Herrligkoffer, car Buhl n’avait pas respecté les consignes du chef d’expédition. Cependant, les décisions cruciales prises par Buhl, bien que contraires aux consignes, s’avérèrent judicieuses. Aujourd’hui, les exploits de Buhl sont reconnus et célébrés à leur juste valeur en tant qu’acte pionnier dans les ascensions extrêmes.
Une première par la face du Diamir
En 1962, les alpinistes bavarois Toni Kinshofer, Siegfried Löw et Anderl Mannhardt réussirent pour la première fois à gravir la face du Diamir, marquant également la deuxième ascension réussie du sommet depuis celle d’Hermann Buhl. Malheureusement, la descente coûta la vie à Siegfried Löw, tandis que Kinshofer et Mannhardt en revinrent avec de graves engelures.
Cette expédition était également organisée par K. M. Herrligkoffer.
L’expédition Messner, succès et drame
En 1970, Günther et Reinhold Messner réussirent pour la première fois l’ascension de la face la plus ardue du Nanga Parbat, la face sud ou versant du Rupal. Ils grimpèrent sans corde, mais les cordées de soutien qui les suivaient, moins rapides, ne purent les rejoindre. Cela les contraignit à descendre par le versant de Diamir, inexploré et sans traces ni équipements, toujours sans corde.
Selon les récits de Reinhold, Günther Messner fut emporté par une avalanche lors de la descente. Ce n’est qu’en 2005 que ses dires furent confirmés par la découverte des restes de Günther Messner. Le lendemain, le Tyrolien Felix Kuen et le Bavarois Peter Scholz réussirent également l’ascension par la face sud. Toutefois, contrairement à Reinhold Messner, ils descendirent par le versant du Rupal.
Cette troisième expédition réussie fut également dirigée par Herrligkoffer, qui organisa huit expéditions sur cette montagne entre 1953 et 1975.
En 1878, Messner signe une première au Nanga Parbat
En 1978, Reinhold Messner réalisa une nouvelle ascension du Nanga Parbat et devint, à cette occasion, le premier homme à avoir gravi un sommet de 8 000 mètres depuis la base jusqu’au sommet sans interruption.
Pour accomplir cet exploit, il emprunta le versant du Diamir, choisissant une voie inédite aussi bien pour la montée que pour la descente.
Au camp de base, il ne bénéficiait que du soutien d’un médecin et d’un officier de liaison.
Le Nanga Parbat des années 1980 au début des années 2000
En 1984, Maurice et Liliane Barrard parvinrent au sommet du Nanga Parbat en empruntant une variante sur le versant Diamir. Ils réalisèrent ainsi la première ascension française et Liliane devint la première femme à atteindre le sommet.
En 1990, Hans Kammerlander et Diego Wellig effectuèrent la première descente à ski du Nanga Parbat, en empruntant le versant Diamir.
En 2003, Jean-Christophe Lafaille ouvrit une nouvelle voie sur la montagne. Il gravit d’abord le premier bastion les 20 et 21 juin en compagnie de l’Italien Simone Moro. Toutefois, épuisé à la sortie de la voie, vers 7 000 mètres, Moro décida de redescendre. Jean-Christophe poursuivit alors vers le sommet par la voie normale en compagnie de son ami américain Ed Viesturs. Initialement, cette nouvelle ligne devait être baptisée Tom & Martina (en hommage à leurs enfants respectifs), mais en raison des tensions avec Moro, Jean-Christophe Lafaille ne nomma finalement la voie que Tom, estimant qu’il avait accompli l’ascension seul.
L’ascension fut réalisée intégralement sans oxygène. De retour en France, Lafaille déclara ne plus jamais vouloir grimper avec Moro.
Les ascensions et tentative les plus récentes du Nanga Parbat
En juillet 2008, l’alpiniste italien Karl Unterkircher trouve la mort sur la paroi de Rakhiot, à environ 6 400 mètres d’altitude.
Le 22 juin 2013, le massacre du Nanga Parbat a lieu, au cours duquel onze alpinistes sont tués par des talibans pakistanais déguisés en Gilgit Scouts au camp de base sur la face Diamir.
Une expédition composée de Simone Moro (Italie), Alex Txikon (Espagne) et Muhammad Ali Sadpara (Pakistan) atteint le sommet, le 26 février 2016, réalisant ainsi la première ascension hivernale du Nanga Parbat.
Le 26 janvier 2018, après avoir atteint le sommet en style alpin, l’alpiniste polonais Tomasz Mackiewicz et la Française Élisabeth Revol entament la redescente. Mackiewicz souffre d’ophtalmie et de gelures, ce qui complique leur progression. Les deux alpinistes finissent par se séparer, et Élisabeth Revol est secourue par une expédition de secours à 6 300 mètres d’altitude. Tomasz Mackiewicz, en revanche, ne peut être récupéré comme prévu par hélicoptère et reste bloqué à 7 200 mètres. Il est porté disparu. En mars de l’année suivante, le Britannique Tom Ballard et l’Italien Daniele Nardi perdent la vie sur cette montagne.
Les principales voies d’ascension du Nanga Parbat
Le versant du Rakhiot
Le versant du Rakhiot, également connu sous le nom de « voie Buhl », est la voie située au nord qui a été empruntée lors de la première ascension réussie du Nanga Parbat. C’est probablement la voie la plus longue et la moins pentue pour atteindre le sommet.
L’ascension débute par le glacier du Rakhiot (le camp de base en 1953 était situé à une altitude de 3 967 mètres), situé juste sous la paroi nord-est. Ensuite, les alpinistes escaladent le pic enneigé du Rakhiot (7 070 m), la Tête de Maure (Mohrenkopf), puis passent sur son versant est avant d’atteindre la Selle d’Argent (Silbersattel), à 7 400 mètres d’altitude.
De là, l’itinéraire continue sur une portion moins escarpée du Plateau d’Argent (Silberplateau) avant d’atteindre le sommet nord. Ensuite, les alpinistes doivent passer par l’escarpement de Bazhin (7 812 m) avant de gravir la pyramide finale menant au sommet du Nanga Parbat.
Le flanc du Diamir du Nanga Parbat
Le flanc du Diamir, qui est la face ouest du Nanga Parbat, a été emprunté pour la première fois lors de l’expédition de 1962 mentionnée précédemment (le camp de base se trouvait à environ 4 100 mètres d’altitude). L’équipe n’a pas utilisé directement la « voie Kinshofer » (la voie la plus fréquemment utilisée aujourd’hui), mais a plutôt choisi un itinéraire sur la gauche de la paroi. En 1978, Reinhold Messner a utilisé une voie plus directe en empruntant des tracés différents à l’aller et au retour. Vers la fin de l’ascension, la voie du Diamir croise les autres voies sur l’escarpement de Bazhin.
La paroi du Diamir est caractérisée par un réseau complexe de couloirs glaciaires, d’énormes séracs et de dangereux couloirs d’avalanche. Les « éperons Mummery » (Mummery-Rippen) se trouvent à mi-chemin sur la paroi et offrent en partie une protection contre les avalanches. Cependant, au pied des éperons se trouve une pente extrêmement raide et difficile à franchir.
Le versant du Rupal
Le versant du Rupal, orienté au sud, présente une hauteur impressionnante de 4 500 mètres et est délimité à droite par la fracture spectaculaire sud-est. La voie, empruntée pour la première fois avec succès en 1970, suit la zone la plus abrupte de la ligne de crête et traverse des sections très difficiles à la fin, telles que le couloir Merkl (Merkl-Rinne) à 7 350 mètres et le glacier Welzenbach (Welzenbach-Eisfeld).
Une voie alternative a été empruntée en 1976 par l’expédition réduite dirigée par Hanns Schell, qui comprenait quatre alpinistes et un médecin. Cette voie passait par la paroi gauche, les menant à l’arête sud-ouest, puis finalement au sommet après avoir traversé le couloir Mazeno. Cette « voie Schell » est considérée comme relativement « facile ».
Du 1er au 8 septembre 2005 (sommet le 6 septembre), Vince Anderson et Steve House (États-Unis) ont réussi l’ascension d’une nouvelle voie en style alpin du pilier central du versant Rupal. Cette réalisation leur a valu l’obtention du prestigieux Piolet d’or (Europe) cette année-là.
Les piliers sud-est, situés à droite de la Direttissima, ont été vaincus pour la première fois en 1982.
Le glacier du Diama
Le glacier du Diama, situé sur la voie nord-ouest à gauche du versant du Diamir, n’avait pas été escaladé jusqu’en 2018. Cette voie a été tentée pour la première fois en 1990 et également par Messner en 2000, mais sans succès. Finalement, le sommet a été atteint le 26 janvier 2018, en hiver et en style alpin, par Tomasz Mackiewicz et Élisabeth Revol.
Malheureusement, l’alpiniste polonais Tomasz Mackiewicz a péri lors de la tentative de descente, tandis que l’alpiniste française Élisabeth Revol a été secourue par Denis Urubko et Adam Bielecki. Revol a souffert de multiples gelures à la suite de cette expédition.