Pierre Allain Leininger est le second episode de « Face Nord des Drus »
L’inertie du bivouac faisant, nous reprenons à 8h l’ascension ou nous l’avions laissée : à la 20ème longueur. Aurelia grogne et s’emploie en tête : les difficultés sont nettement supérieures dans les longueurs du haut de la face. Le vent qui nous a caressé le visage la nuit n’a fait que se renforcer et nous assaille pour ne nous laisser aucun répit. La fatigue se fait ressentir. Nous progressons plus lentement, l’escalade en devient laborieuse, alors que chaque longueur est pourtant d’une grande beauté.
Les difficultés ?
Les longueurs clefs, juste sous le sommet sont pour moi, comprenez que je les grimpe en tête. Enkilosé par le froid, je redoute mon tour. Mais l’appétit vient en mangeant, le plaisir de grimper en tête me transcende et une nouvelle énergie m’envailli. Les longueurs me paraissent finalement plus faciles que celles grimpées par mes compagnons de cordée. Allez comprendre!
A 17h, Lorrys déniche un trou qui nous permet d’accéder à la face sud, juste sous le sommet du Petit Dru. Nous profitons de quelques instants suspendus de chaleur a la lumière du soleil couchant, sans vent, en face sud. Mais seulement quelques minutes après cette pause, nous réalisons d’un seul homme que nous n’avons aucune idée de comment rejoindre la brèche du couloir Nord, qui sera le point de départ de notre descente.
Je tente le coup de fil à un ami, Jordi Noguere, qui connaît bien l’endroit. Coup de théâtre, celui ci se trouve être au refuge de la Charpoua, juste au pied des Drus. « Vous êtes habillés en orange, c’est bien ça ?! ». Moi, je suis assis sur mon caillou, je souris béatement : oui, c’est bien ma doudoune que tu vois du bas !! Jordi nous explique comment rejoindre la brèche.
Les rappels
A 20h, nous rejoignons les premiers rappels. Ils se passent dans le couloir Nord des Drus, goulotte d’une incroyable raideur qui nous laisse l’impression de descendre sur un toboggan sombre et sans fin, digne d’un conte pour enfant.
Au 4eme rappel, le nœud de rabout de corde se coince derrière une écaille. Les regards désabusés et la mine livide de mes compagnons me fait comprendre qu’à 23h, au milieu de nul part, la situation devient critique. D’un grand geste ample, j’improvise une dernière tentative avant de couper la corde, et le nœud se debloque, nous glissant dans les mains. Gagné! Ivres de joie, mes compagnons de cordée me serrent dans leur bras, comme si j’avais marqué un but en final de coupe du monde!
Voie Pierre Allain Leininger – l’arrivée
4h plus tard, nous prenons pied au dessus de la rimaye, ultime rappel avant la fin des difficultés. Hagard de fatigue, nous taillons un champignon de neige. Thibault descend, il siffle de joie d’être arrivé en bas. A mon tour, je teste le champignon, puis m’élance dans la descente. Je passe la lèvre de la rimaye, quand soudain la corde cisaille le champignon. Ma descente se termine en chute libre. Je m’écrase lourdement dans le fond de la rimaye. Plusieurs mètres en contrebas, je grogne de rage à l’idée de terminer la course de cette manière.
Sonné mais indemne, je sors de mon trou, Lorrys Bouniol et Aurélia Lanoe me rejoignant à leur tour. Nous déambulons jusqu’à retrouver nos skis, à 1h du matin. On glisse jusqu’au pied du fameux « Couloir des Poubelles », pour le remonter péniblement. La fatigue nous étreint, la montée paraît interminable. Finalement, c’est à 4h30 du matin que nous rejoignons les voitures à Argentière, terrassés par notre journée qui durera prêt de 24h.
La voie Pierre Allain Leininger – une incroyable aventure
Sur le coup, la course est tellement dure que nous nous demandions sans cesse si cela en valait la peine.
Mais le repos et la prise de recul m’apportent comme à chaque grande course la satisfaction d’être allé au bout de moi même, d’avoir vécu intensément quelques heures qui me paraissent à présent être une éternité. Comme si les couleurs étaient plus intenses, les lumières plus belles, les gorgées d’eau plus réparatrices, les snickers plus goûteux… une incroyable aventure.
Une fois encore je suis abasourdi de l’audace des pionniers de l’alpinisme qui ont deffriché des faces avec des moyens matériels dérisioires… messieurs, je crois n’être pas fait du même bois que vous. Vous avez mon plus grand respect.
Je souhaite remercier une énième fois mes compagnons de cordée pour cette magnifique aventure en face nord, leur ténacité, leur passion, leur sens du partage, leur patience avec mes blagues parfois (trop) peu drôles.
Un très grand merci à notre ange gardien Jordi Noguere qui nous a guidés comme une étoile polaire aurait guidé des marins en perdition…